lundi 22 août 2016

Turquie. Erdogan massacre les populations kurdes

Source : l'Humanité
 
De violents affrontements ont opposé lundi la police à des manifestants prokurdes qui dénonçaient le couvre-feu imposé à Diyarbakir, la grande ville à majorité kurde du sud-est de la Turquie.
Photo : Sertac Kayar/Reuters
Dans le silence assourdissant des chancelleries occidentales qui ne refusent rien à leur allié, membre de l’Otan, Ankara a lancé ses troupes au Kurdistan. Les couvre-feux sont imposés dans de nombreuses villes. Les forces spéciales sont en action contre le PKK, faisant de nombreux morts.
Qui ou quoi pourrait arrêter la Turquie de Reçep Erdogan ? S’abritant derrière son statut de membre de l’Otan, fort d’une reprise des négociations en vue d’une possible adhésion à l’Union européenne, satisfait du silence assourdissant des chancelleries occidentales, Ankara hausse la duplicité au rang de règle diplomatique. Mais pour l’heure, ce sont d’abord les populations du sud-est de la Turquie, c’est à dire essentiellement les Kurdes, qui font les frais de cette politique terrible, qui n’est pas sans rappeler les heures sombres de l’Empire ottoman et du génocide opéré contre les Arméniens.
Il est vrai qu’Erdogan et son premier ministre, Ahmet Davutoglu, ont annoncé la couleur depuis plusieurs mois. Utilisant les critiques de plus en plus fortes adressées au pouvoir turc sur, au minimum, la complicité avec les djihadistes de l’organisation dite de l’État islamique (EI, plus connu sous son acronyme de Daech), les deux hommes ont lancé une guerre contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui, à leurs yeux, représente « le » terrorisme. Entre le mois de juin et le 1er novembre, entre les deux élections législatives – manipulation visant à renforcer leur pouvoir –, ils n’ont eu de cesse de relancer une guerre contre les représentants du peuple kurde. D’un point de vue militaire contre la formation d’Abdullah Öcalan en multipliant les bombardements contre les bases du PKK, en Turquie même mais également dans les montagnes du Kurdistan d’Irak ou au Rojava (Kurdistan de Syrie) où les combattants du PKK sont venus prêter main forte pour libérer Kobané et une partie, en Irak, des Yézidis, soumis à la vengeance terrible de l’« EI ». Sur le plan politique, la répression s’est opérée en deux temps. D’abord en utilisant tous les moyens constitutionnels pour rendre le pays ingouvernable et en convoquant de nouvelles élections parce que le HDP (Parti démocratique des peuples) avait réussi à envoyer 80 députés au Parlement, en manipulant des groupes islamistes pour provoquer des attentats en Turquie même, à Suruç puis à Ankara, contre le mouvement kurde mais également contre la gauche turque.
L’Humanité, au mois d’août, avait rendu compte des premiers massacres perpétrés par l’aviation turque qui, en bombardant des villages du Mont Kandil (Irak), sous prétexte de bases PKK, tuait en réalité des dizaines de civils. Depuis la fin de l’été, dans nombre de villes du Sud-Est, la résistance s’est organisée. A Diyarbakir, par exemple, la grande ville kurde, le quartier de Sur s’est organisé pour empêcher la police, la gendarmerie et les forces armées d’entrer. Ailleurs, comme à Cizre, l’autonomie a été décrétée, provoquant la fureur répressive du pouvoir. Déjà ce qui, au départ, s’apparentait à des heurts s’était traduit par des morts, des blessés, des arrestations, des destructions de maisons. Le bâtonnier de Diyarbakir a été assassiné en pleine rue. Des militants ont disparu. Dans ces mêmes villes où nous nous étions rendus au mois de novembre, la population témoignait des exactions des forces dites de « sécurité », de l’imposition de couvre-feux, de la peur des enfants et même des massacres en cours.
Depuis quelques jours, les opérations militaires se sont aggravées. Diyarbakir est en état de siège. « Nous ferons tout pour faire de Cizre, de Silopi et de chaque portion de notre patrie une zone de paix, de stabilité et de liberté », a mis en garde mardi le premier ministre Ahmet Davutoglu. « Les terroristes seront éliminés de ces districts. Quartier par quartier, maison par maison, rue par rue », a-t-il ajouté. En 2011, lorsque le président libyen Mouammar Kadhafi avait lancé des menaces similaires, mot pour mot, les pays occidentaux avaient décidé de lancer une offensive militaire contre Tripoli. Aujourd’hui, de Paris à Berlin, de Londres à Washington, c’est le silence radio. Lui et l’ensemble de ses ministres parlent de « nettoyage », ce qui n’est pas sans rappeler les sommets de la répression coloniale aux quatre coins du monde. Ils ont ainsi fait voler en éclats les pourparlers de paix engagés à la fin de 2012 par le gouvernement islamo-conservateur d’Ankara avec le PKK, pour tenter de mettre un terme à un conflit qui a fait plus de 40 000 morts depuis 1984.
Huit membres du PKK ont été tués. Ces rebelles kurdes ont été « neutralisés » mardi à Cizre, dans la province de Sirnak (Sud-Est), a affirmé l’état-major dans un communiqué publié sur son site Internet. D’importants effectifs de l’armée et des forces spéciales de la police ont investi plusieurs villes soumises au couvre-feu, notamment Cizre, Silopi, Diyarbakir, Nusaybin et Dargeçit. De violents combats les opposent à de jeunes partisans du PKK et ont transformé des quartiers entiers en zones de guerre. Joints au téléphone, des habitants de Silopi et Cizre ont fait état de la présence de chars de l’armée et signalé des explosions et des colonnes de fumée. Député du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde), Ferhat Encu a posté sur son compte Twitter des photos de soldats enfonçant la porte de l’immeuble dans lequel il se trouvait à Silopi. « Nous ne sommes pas en sécurité », a-t-il écrit. Selon l’agence de presse Firat News, un enfant de 11 ans a été tué lors d’une opération de l’armée à Cizre. Après plus de deux ans de cessez-le-feu, d’intenses combats ont repris l’été dernier entre policiers et soldats turcs et le PKK, faisant de nombreuses victimes. Trois policiers ont été tués et trois autres blessés mardi à Silvan dans une attaque à l’explosif attribuée au PKK, qui a visé un véhicule blindé. La veille, deux jeunes manifestants sont morts par balle lors d’affrontements avec la police alors qu’ils dénonçaient le couvre-feu en place depuis le 2 décembre dans le district de Sur, à Diyarbakir. Hier, dans ces villes, les images étaient terribles. Des centaines de personnes tentaient de fuir les combats et les centres-villes. Ceux qui ont décidé de rester, par impossibilité de départ mais souvent par volonté politique de ne pas céder à la pression militaire du pouvoir central, commençaient à stocker des provisions en prévision d’un siège qui s’annonce long et rude. Selon des données recueillies par la Fondation des droits de l’homme de Turquie, 52 couvre-feux ont été mis en place depuis la mi-août, dans sept provinces du sud-est de la Turquie. Ces mesures concernent au total 1,3 million d’habitants.

Bagdad a protesté contre 
une violation du territoire

Comment ne pas mettre en parallèle cette offensive d’Ankara avec l’entrée de troupes turques au nord de l’Irak et positionnées près de Mossoul ? Officiellement il s’agit d’entraîner des milices sunnites. Outre le fait que Bagdad a protesté contre ce qui s’apparente à une violation du territoire national (la Ligue des États arabes doit d’ailleurs se réunir le 24 décembre pour prendre un certain nombre de positions), il semble incontestable que le pouvoir turc cherche l’épreuve de force à l’heure où son rôle dans le renforcement de Daech apparaît de plus en plus clairement aux yeux du monde. L’Humanité avait déjà témoigné de la venue de troupes djihadistes à Kobané en provenance de Turquie. La destruction d’un avion russe il y a quelques semaines montre également combien Ankara préfère s’en tenir à une ligne de confrontation. D’autant que certains observateurs se 
demandent si le positionnement des troupes turques près de Mossoul ne masque pas, en réalité, la tentative de créer un corridor 
de sortie pour les combattants islamistes positionnés à Mossoul, alors que le siège de la ville est en train de s’organiser.

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