jeudi 17 décembre 2015

Référendum danois: le "non" à l'Europe et le silence des journaux

Le mercredi 3 décembre se tenait, dans la plus grande discrétion de la presse française, un référendum au Danemark portant sur une plus grande intégration à l’Union européenne. Le vote a été sans appel : le « Non » l’a emporté avec 53% des suffrages exprimés[1]. Il faut aussi noter l’importante participation, environ 72% des électeurs ont voté, qui fait de ce référendum le plus important dans l’histoire des différends votes concernant l’UE au Danemark. Le relatif silence de la presse française est à noter ici, mélange de mépris pour ce qui se passe dans un « petit » pays et de gêne quant au résultat qui dérange, et c’est peu dire, les opinions européistes de maints commentateurs.
L’objet du référendum était de savoir si les danois acceptaient de renoncer aux différentes exemptions qu’ils avaient obtenues, à la suite de précédentes consultations référendaires, aux règles de l’Union européennes. Dans le langage technique dont raffole la bureaucratie bruxelloise cela s’appelle des clauses « d’opting out ». Le gouvernement libéral qui dirige actuellement le Danemark tout comme l’opposition social-démocrate avaient fait campagne pour le « Oui ». Ils ont donc été désavoués. La campagne du « Non » était portée par une alliance de la gauche radicale et du parti populiste et souverainiste, le DPP[2]. Tout comme lors du référendum de 2005 en France sur le projet de Constitution européenne, c’est cette alliance qui a triomphé.
Pourtant, tant le parti au pouvoir que l’opposition européistes n’avaient pas hésité à jouer de la carte de la peur pour influencer les électeurs, allant jusqu’à prétendre qu’un succès du « non » remettrait en cause remettrait en cause la coopération policière avec les autres pays de l’UE. Cet argument était particulièrement stupide quand on sait que l’UE, et son instrument Europol, collabore avec des pays comme la Suisse et la Norvège qui ne font pas partie de l’UE ! Tout comme en France, la carte de la peur n’a pas joué.
Le sens de ce référendum est clair. C’est une nouvelle victoire pour le courant souverainiste er eurosceptique en Europe. Cette victoire témoigne de l’épuisement de l’idée européenne dans les opinions publiques et de la faillite du projet d’intégration renforcée que portent les européistes que ce soit à Bruxelles ou à Paris. Avec le projet de futur référendum sur l’Euro qui pourrait se tenir en Finlande en 2016 ou 2017, c’est aussi le signe très nets que les peuples des pays de l’UE rejettent cette idée d’intégration renforcée et de pseudo-fédéralisme que portent les partisans de l’Euro. Les gouvernements feraient bien d’en tenir compte. Ce référendum, le premier vote qui survient dans un pays de l’UE depuis que la crise des réfugiés a fait exploser les contradictions de la construction européenne, signale très certainement la fin d’une époque. L’intégration européenne ne fait plus rêver. Au contraire, elle fait peur. Les populations constatent que les mécanismes d’intégration, dont ben entendu l’Euro, n’ont jamais produits les effets bénéfiques qui leurs étaient attribués et ont même détérioré l situation.
Par ailleurs, c’est aussi une victoire qui aura certainement une influence sur le futur référendum qui doit se tenir en 2016 en Grande-Bretagne sur une possible sortie de ce pays de l’UE. De ce point de vue aussi, ce référendum danois annonce des tournants majeurs dans l’histoire de la construction européenne. Et c’est probablement ce qui gêne tant les divers commentateurs français qui, sauf la reprise du communiqué de l’AFP, se tiennent pour l’heure dans un silence qui en dit long sur ce qu’ils pensent…
[1] Milne R., « Danish referendum rejects further EU integration », The Financial Time, 3 décembre 2015,
[2] Orange R., « Denmark delivers snub to Brussels with ‘no’ in EU rules referendum », in The Telegraph, 3 décembre 2015,
Et le silence des journaux :
Le référendum qui s’est tenu au Danemark le jeudi 3 décembre, et qui a vu la victoire du « non » et des eurosceptiques, continue de soulever des interrogations multiples. La première concerne le faible retentissement médiatique de ce référendum. Assurément, nous sommes en campagne électorale en France. Mais, ce quasi-silence des médias est un objet d’étude à lui tout seul. La seconde interrogation porte sur le sens qu’il convient de donner à ce référendum. On voit bien que, dans les rares commentaires à son sujet on parle de « questions techniques ». Techniques, elles l’étaient assurément. Mais il faut être bien naïf, ou bien de mauvaise fois, pour ne pas se rendre compte que, derrière cette dimension « technique » la véritable question portait sur le processus d’intégration européenne.
Le silence des journaux
Un simple test le prouve. Une demande de recherche sur Google actualités ne produit que 170 résultats, dont certains ne concernent pas les médias français. Dans une liste d’environ 150 références des médias français, on trouve une très large part d’articles qui ne sont que des reprises, soit in extenso soit partielle de l’article publié le 3 décembre au soir par l’AFP. La différence avec la presse anglo-saxonne ici saute aux yeux.
Certes, ce n’est pas la première fois que la presse française se comporte de manière plus que désinvolte vis-à-vis d’événements survenant dans un « petit » pays. Cette arrogance de « grande nation » qui ressort spontanément et en dépit de discours pourtant ouvertement européistes n’est pas la moindre des choses qui m’insupportent dans les comportements des journalistes français. A cet égard, il est intéressant de lire les commentaires dans les journaux belges (Le Soir ou La Libre Belgique) ou dans les quotidiens suisses francophones. Ils sont souvent de meilleures qualités que ce que l’on peut lire dans une presse française qui se révèle à la fois partiale et surfaite. Mais, cette arrogance n’est sans doute pas la cause première de ce silence.
Ce relatif silence de la presse française traduit, et trahit, une gêne devant le résultat. Les danois, peuple européens, ont rejeté une proposition de plus grande intégration dans le cadre de l’Union européenne. Ils l’ont rejeté de manière très claire, ce qui a été reconnu par le gouvernement danois. Ils l’ont rejeté aussi dans une alliance entre l’extrême-gauche (et la gauche dite « radicale ») et le parti populiste et souverainiste danois le DPP. On constate une nouvelle fois que, quand peuvent se retrouver sur un terrain commun, des souverainistes de gauche et de droite ont une large majorité. Et ceci gêne sans doute autant, voire plus, les éditorialistes à gages de notre presse nationale. Cela pourrait donner des idées au bon peuple de France. Voici donc une autre raison de ce silence relatif, et il faut le dire bien intéressé. Ce référendum porte en lui une critique de l’européisme. C’est pourquoi il convient de faire silence dessus. Ah, elle est belle la presse libre en France ; elle est belle mais elle est surtout silencieuse quand il convient à ses propriétaires…
Une question technique ?
Dans les rares articles que les journaux, ou les autres médias français, consacrent aux résultats de ce référendum, on pointe avant tout la nature « technique » de la question posée : fallait-il remettre en cause les clauses dites « d’opting-out » négociées par le Danemark avec l’Union européenne pour permettre une meilleure coopération policière entre ce pays et les instances policières européennes (Europol pour les nommer). Mais, si l’énoncé de la question était assurément technique, il faut beaucoup d’aveuglement, bien de la cécité volontaire, pour ne pas voir que la réponse apportée par les danois fut avant tout politique.
Il convient ici de rappeler que ce référendum a connu une forte participation. Près de 72% des électeurs danois se sont déplacés pour voter, ce qui constitue un record dans des référendums portant sur l’Europe pour le Danemark. C’est bien la preuve que les danois ont compris que, derrière une apparencetechnique, la question était bien avant tout politique. D’ailleurs, cette dimension politique ressortait bien de la campagne qui se déroula avant ce référendum. Les questions de la suspension des accords de Schengen, de l’intégration européenne, des coopérations multiples, furent en réalité largement débattues.
Cette réponse donc politique que les électeurs danois ont apporté, elle a un sens très net : celui d’un refus de toute nouvelle intégration européenne. Face à des questions essentielles, comme celles concernant la sécurité, les danois ont clairement opté pour le maintien de leur souveraineté et le refus pour une plus grande intégration. Leur réponse traduit le profond désenchantement auquel on assiste quant à la construction européenne. Que ce soit dans le domaine de l’économie ou dans celui de la sécurité, que ce soit sur l’Euro ou les contrôles aux frontières, c’est bien à un échec patent de l’intégration que l’on est confronté. Or, la réponse des européistes à cet échec n’est pas de s’interroger sur ses causes mais de demander, encore et toujours, plus d’intégration. En fait, l’intégration européenne est devenue un dogme, une religion. Et celle-ci n’admet aucune critique, ne souffre aucune contradiction. C’est pourquoi les dirigeants poussent à une surenchère mortelle. Mais, c’est aussi pourquoi les peuples, qui bien souvent ne sont pas dupes d’un discours trop formaté pour être honnête, refusent justement cette surenchère et exigent qu’un bilan honnête et objectif de cette intégration soit fait.
L’heure des bilans
Ces bilans vont se multiplier, que les dirigeants le veuillent ou non. La Grande-Bretagne votera sur son appartenance à l’Union européenne en 2016 et, n’en doutons pas, on y suit de très près les implications du référendum danois. On votera sans doute sur la question de l’Euro en Finlande, en 2016 ou en 2017. Ce vote aura aussi une importante signification. Mais, surtout, c’est dans sa pratique au jour le jour que l’Union européenne sera confrontée à cette demande de bilan.
Car, il est clair que le trop fameux « pragmatisme » européen a engendré des monstres, qu’il s’agisse de l’Eurogroupe, club dépourvu d’existence légale et qui pourtant pèse d’une poids énorme comme on l’a vu lors de la crise grecque de l’été 2015, ou qu’il s’agisse des abus de pouvoir que commet désormais chaque semaine la Commission européenne. On se souvient des déclarations de Jean-Claude Juncker à l’occasion de l’élection grecque de janvier dernier[1]. Leur caractère inouï fut largement débattu. Un autre exemple réside dans la manière dont ces institutions européennes négocient, dans le plus grand secret, le fameux « Traité Transatlantique » ou TAFTA qui aboutira à déshabiller encore plus les Etats et la souveraineté populaire qui s’y exprime. Le comportement de l’Union Européenne tout comme celui des institutions de la zone Euro appellent une réaction d’ensemble parce qu’elles contestent cette liberté qu’est la souveraineté[2].
Il est plus que temps de dresser le bilan de ces actes, d’évaluer la politique poursuivie par les institutions européennes et leurs diverses affidés, de gauche comme de droite, en Europe. On peut comprendre, à voir l’importance de l’investissement politique et symbolique qu’ils ont consenti, que les dirigeants européistes voient avec une certaine angoisse s’avancer l’heure où ils devront rendre des comptes. Mais, à recourir à de quasi-censure, à des méthodes ouvertement anti-démocratiques pour en retarder le moment ils risquent bien de finir par voir leurs tête orner le bout d’un pique.
Notes
[1] Jean-Jacques Mevel in Le Figaro, le 29 janvier 2015, Jean-Claude Juncker : « la Grèce doit respecter l’Europe ».
Ses déclarations sont largement reprises dans l’hebdomadaire Politis, consultable en ligne :http://www.politis.fr/Juncker-dit-non-a-la-Grece-et,29890.html
[2] Evans-Pritchards A., « European ‘alliance of national liberation fronts’ emerges to avenge Greek defeat », The Telegraph, 29 juillet 2015,


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