vendredi 3 avril 2015

Battre monnaie : une politique, de Toulouse à Francfort

Source : Casa Nova

La Banque Centrale Européenne, selon notre Président gaffeur, serait disposée, enfin, à monétiser une partie de la dette publique européenne. C’est un tabou libéral qui tombe si cela se confirme. A voir sous quelles formes, et qui en bénéficiera vraiment.
Battre monnaie c’est une fonction politique, que seule l’Europe, fanatisée par les théories les plus libérales, a oublié, confiant à des banquiers « indépendants » (pas idéologiquement en tout cas) la responsabilité de la politique monétaire, figeant de fait cette politique dans les sentiers réservés aux rentiers. Face à la peur de la montée des gauches de transformation en Europe du sud et au risque de faire baisser les prix, la BCE semble bouger…
C’est l’opportunité pour CASA NOVA de parler de la monnaie. Les monnaies locales se développent. A Toulouse le Sol Violette a fait son apparition remarquée. Que peut-on en penser ?
Les monnaies locales sont-elles un monopoly éthique pour « bobos objecteurs de croissance » ? Comment les promoteurs des monnaies locales complémentaires (MLC) peuvent-ils transformer cet outil monétaire en outil social ? Comment les collectivités, les Etats ou même l’UE peuvent-ils prendre des initiatives pour faire de la relance et réduire la pauvreté ?

La monnaie locale, un outil progressiste à l’intérêt certain

Dans un contexte de crise économique, financière et écologique, on assiste à une explosion de monnaies locales. Plus de 5000 dans le monde comme en Afrique du Sud, Allemagne, Brésil, Grande-Bretagne, USA, mais aussi en Suisse avec le Wir créé en 1934 et utilisé par 60 000 PME et un chiffre de 2 milliards de Francs Suisses !
En France, on compte une trentaine de monnaies locales, comme l’Abeille à Villeneuve sur Lot, l’Eusko au pays Basque, le Sol Violette à Toulouse, la Touselle à Saint-Gaudens et le Pyrène, créé en 2014 sur l’ensemble du département ariégeois !
C’est aussi une monnaie citoyenne. Ses précurseurs essentiellement associatifs, sont issus des mouvements de l’écologie, de l’altermondialisme, de la pratique des Systèmes d’échanges locaux (SEL). Le principe est que ces monnaies ne sont pas convertibles,et ne permettent pas la spéculation.
La monnaie locale est donc pleine de bonnes intentions : relocaliser l’économie, encourager les entreprises et leurs client-es à respecter certaines valeurs éthiques et permettre aux citoyen-nes de se réapproprier la question financière. Une forme d’engagement solidaire à la vie locale, une attention particulière aux produits bio et locaux, une éducation in vivo à l’économie par une prise de conscience du rôle de la monnaie.
La richesse se créé quand la monnaie circule vers l’économie réélle, aimait dire Bernard Maris. A rebours de la mondialisation financière, l’idée que les revenus engendrés et dépensés localement replacent la monnaie au cœur de l’économie réelle est loin d’être stupide, tout en nous laissant circonspect-es sur les utopies d’une économie régionaliste que n’aurait pas reniée un Charles Maurras.
En février 2014, Benoit Hamon (Ministre de l’Economie sociale et solidaire) et Cécile Duflot (Ministre du Logement, de l’Egalité des territoires et de la Ruralité) lancent une mission d’étude sur les monnaies locales complémentaires (MLC), un état des lieux de celles qui existent en Europe et une évaluation des blocages en termes juridiques et fiscaux. Cela aboutira à la reconnaissance par la loi de l’utilisation des MLC comme moyen de paiement légal en mai 2014.
Au pays de la finance, l’exemple de Bristol (430 000 hab) reste emblématique de l’implication totale d’une collectivité en finançant les études de faisabilité, en mettant des locaux à disposition et en affectant un agent au projet.
Les collectivités et notamment les départements en charge de la solidarité, peuvent-ils jouer un rôle de généralisation d’une monnaie locale et en faire un outil de solidarité ? Ce soutien serait non seulement possible mais légitime.
En soutenant ces monnaies en autorisant leur usage pour payer des services territoriaux, tels que la médiathèque, la cantine ou la piscine ou en apportant un soutien financier, par exemple en garantissant les prêts à 0% ou en versant une aide écologique en monnaie locale.
Même si aux dernières municipales, bon nombre de candidat-es ont proposé la création d’une MLC dans leurs programmes, on peut imaginer que ces propositions soient reprises par des candidat-es aux élections départementales et régionales. Créer une MLC à l’échelon d’une région donnerait du sens aux fusions aux yeux des électeur-ices qui percevraient enfin l’intérêt de ce jeu de puzzle techno-médiatique.

Du local au global… Réinterroger la politique monétaire dans son intégralité

Mais, reconnaissons leur cet apport, c’est  » Nouvelle Donne » qui lors des Européennes a proposé une généralisation du principe de la monnaie complémentaire à l’échelle du pays, sous la forme d’un revenu de base appelé Euro-Franc. Kezaco ?
L’idée est à la fois originale et réellement sociale. Partant du constat que l’économie réelle manque de monnaie, et que les statuts actuels de la Banque Centrale Européenne (BCE) empêchent toute relance monétaire digne de ce nom, ce parti progressiste propose de contourner l’obstacle en demandant à la Banque de France de réintroduire une monnaie nationale, sans pour autant sortir de l’euro.
Ce qui importe, c’est que cette monnaie soit injectée directement dans l’économie réelle, par le versement mensuel de 150 euro-francs sur le compte bancaire de chaque citoyen sous la forme d’un revenu de base inconditionnel par création monétaire tel que le proposent d’autres économistes, mais limité aux citoyens de plus de 20 ans.
Ce serait une monnaie à parité fixe : 1 euro-franc = 1 euro. Inconvertible, inutilisable pour l’achat d’actifs financiers et de biens immobiliers, cette monnaie pourrait être utilisée pour consommer en France, mais aussi pour payer son loyer ou ses impôts.
Des milliers d’entreprises et de citoyens utilisent déjà avec succès des monnaies complémentaires au niveau local. L’euro-franc sera une monnaie locale complémentaire nationale qui pourraît soulager directement les Français-es, avec un vrai potentiel de relance sur l’activité économique réelle.
Le débat mérite d’être mené.

Et en Europe ?

Alors que la BCE s’interroge encore sur les moyens d’injecter de l’argent pour relancer efficacement l’économie à l’instar de la FED aux USA ,elle ne peut prêter aux Etats, mais aux banques oui. Or, selon le journaliste économique Anatole Kaletsky notamment, les politiques monétaires d’assouplissement quantitatif conventionelles (prêts aux banques) ont des effets incertains sur l’économie réelle. A juste titre puisque les banques n’ont pas fait la preuve éclatante qu’elles étaient capables d’accompagner l’économie réelle, en dépit de taux très bas.
A partir de là, on peut envisager deux formes originales d’assouplissement quantitatif qui ont été défendues par différents économistes (1) : le financement de la transition écologique par la création monétaire et l’assouplissement quantitatif vers les citoyens. Cette dernière idée est défendue notamment par le Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB).
S’il est nécessaire de créer de la monnaie pour relancer l’activité économique, et si l’on veut être sûr que cette monnaie nouvellement créée alimente la sphère réelle plutôt que la sphère financière, le moyen le plus simple est de verser cet argent directement aux individus. Une telle politique d’assouplissement présuppose que nos sociétés actuelles n’ont pas tant besoin d’une croissance économique tirée par l’investissement, mais plutôt d’accroître l’autonomie des individus par cette forme de revenu de base. C’est un débat à mener sérieusement dans la gauche. Avec des synthèses originales à trouver.
A CASA NOVA il y a toutes sortes de positions sur le revenu universel, et nous y reviendrons…
Car nous devons cesser d’éluder les questions dans la gauche antilibérale. Nous devons les surmonter ensemble.
(1) John Muellbauer, professeur d’économie à Oxford, Yoland Bresson (décédé en aout 2014) professeur de sciences économiques et de gestion à Paris XII

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