mercredi 21 janvier 2015

Overton, manipuler l’opinion pour faire accepter


Joseph P. Overton (1960-2003) a imaginé un modèle de représentation des opportunités des changements dans l’opinion publique. Il a décrit comment des idées totalement étrangères à la société, qui au départ ont été accueillies avec un mépris public, et ont ensuite été complètement acceptées par la société pour finir inscrites dans la loi. Le plus inquiétant est que ces idées émanent souvent d’un petit groupe au profit de ce seul groupe, au détriment de l’intérêt général !
Selon Overton chaque idée, même la plus ahurissante, a pour éclore dans la société une fenêtre d’opportunité. Dans cette fenêtre, l’idée peut être largement discutée, ouvertement, en essayant de modifier la loi en sa faveur. L’apparition de cette idée, dans ce que l’on peut appeler « la fenêtre d’Overton », lui permet de passer du stade “impensable” à un débat public avant son adoption par la conscience de masse et son inscription dans la loi.
Ce n’est pas un lavage de cerveau en tant que tel, mais ce sont des techniques plus subtiles, efficaces et cohérentes, il s’agit d’amener le débat au cœur de la société pour que le citoyen lambda s’en empare et la fasse sienne. Au départ il suffit souvent qu’un personnage public ou politique lance le sujet d’une manière caricaturale à l’ extrême, et qu’ensuite le reste de la classe publique et politique démente à grands cris. Voila, l’idée est née, et le bal des « faux-culs » peut commencer. Le sujet est lancé, on peut en débattre pour le bien de tous et effacer les malentendus !
Selon cette théorie, une fenêtre est l’intervalle d’idées qui peuvent être acceptées par la société à un moment donné et qui sont exprimées ouvertement par les politiques sans qu’ils soient considérés comme des extrémistes. Les idées évoluent selon les stades suivants :
1/ inconcevable (inacceptable, défendu)
2/ radical (défendu mais avec des réserves)

4/ utile (raisonnable, rationnel)3/ acceptable (l’opinion est en train de basculer)
5/ populaire (socialement acceptable)
6/ légalisation (dans la politique d’Etat).

L’utilisation de la fenêtre Overton est à la base de la technologie de manipulation de la conscience publique en vue de faire accepter par la société des idées qui lui étaient précédemment étrangères et conduit à la levée des tabous. L’essence de cette méthode réside dans le fait que le changement d’opinion recherché se divise en plusieurs pas dont chacun déplace la perception à un stade nouveau de la norme universellement admise pour le pousser à son extrême limite. Cela provoque un déplacement de la fenêtre même, et un débat polémique bien maitrisé permet de faire le pas suivant à l’intérieur de la fenêtre.
Des groupes de réflexion produisent et diffusent des opinions à l’extérieur de la Fenêtre Overton en vue de rendre la société plus réceptive sur l’idée en cours. Quand un groupe de réflexion veut imposer une idée considérée comme inacceptable par l’opinion publique, il utilise par étapes la Fenêtre, exemple retour à l’esclavage. Le déplacement de la Fenêtre Overton vers un changement d’attitude envers l’esclavage peut passer par les stades suivants :
Stade 0 : à ce stade le problème est inacceptable, n’est pas discuté dans la presse et n’est pas admis par les gens.
Stade 1 : le thème évolue de « tout à fait inacceptable » vers « défendu mais avec des réserves ». Il est affirmé qu’il ne doit y avoir aucun tabou, le thème commence à être discuté lors de petites conférences pendant lesquelles des économistes renommés font des déclarations sous forme de débats « scientifiques ». Le sujet cesse d’être tabou et est introduit dans l’espace médiatique. En résultat, le sujet inacceptable est mis en circulation, le tabou est désacralisé, le problème ne suscite plus la même réaction et différents degrés apparaissent.
Stade 2 : le thème de l’esclavage passe du stade de radical (défendu, mais avec des réserves) au stade d’acceptable. Des économistes et sociologues continuent d’être cités et des termes élégants sont créés : il n’y a plus d’esclavage à proprement parlé, mais il y a, disons, une réalité objective que de plus en plus de gens ont des difficultés pour survivre et que l’on doit tout tenter pour les sauver. L’objectif est de déconnecter le sens du mot de son contenu dans la conscience sociale. Dans le même temps, à la télévision des reportages montrent que les « cruautés » liées à l’esclavage ne reposent sur rien de concret.
Stade 3 : la Fenêtre Overton se déplace ; en transférant le thème du domaine de l’acceptable à celui du raisonnable/rationnel, celui qui est argumenté par la « nécessité économique ». Il est affirmé que la soumission à l’autre est génétiquement prédéterminée. En plus, en cas de famine (« circonstance insurmontable ») l’homme doit avoir le droit de faire un choix. Il ne faut pas cacher l’information selon laquelle chacun peut choisir entre mourir ou servir un maitre qui nous donnera à manger. Il faut aussi considérer qu’un esclave est débarrassé des soucis matériels.
Stade 4 : de l’utile au populaire (socialement acceptable). Le débat est mené non seulement à l’exemple des personnages historiques ou mythiques, mais aussi à l’exemple de temps durs où l’esclavage était la seule forme de survie pour préserver l’avenir. L’esclavagisme commence à être largement discuté dans les programmes d’information, dans des débats télévisés, dans les films, la musique populaire et dans les clips. Pour populariser le thème, on cite souvent en exemple un personnage historique célèbre qui en son temps a été esclave avant de devenir une personnalité importante.
Stade 5 : du socialement acceptable à la légalisation. Le sujet est lancé et est reproduit automatiquement dans les médias, dans le show-biz et reçoit une importance politique. A cette étape, « l’humanisation » des adeptes de l’esclavage est utilisée pour justifier la légalisation. Pouvons-nous réellement juger de ce qui est bon pour chaque individu ? Un esclave a toujours un toit pour dormir et il est de l’intérêt de son maitre qu’il reste en bonne santé. Heureusement qu’il y a des gens riches pour prendre soin des autres, et certaines gens sont incapables de se débrouiller toutes seules, il faut donc les « encadrer ». Même si cela peut paraitre « amoral » à certains, il est nécessaire pour qu’une société fonctionne que chacun trouve la place qui lui revient.
Stade 6 : du thème populaire, l’esclavagisme passe dans le domaine de la légalisation dans la politique d’état. Une base législative est créée, des lobbies apparaissent, des études sociologiques sont publiées en faveur des partisans de la légalisation de l’esclavage. Un dogme nouveau voit le jour : « pour survivre aux crises, l’esclavage est souvent la seule solution pour les plus démunis ». La loi est adoptée, le sujet pénètre dans les écoles et les jardins d’enfants et la génération nouvelle ne sait pas comment on a pu penser autrement : pour sauver les plus faibles et afin qu’ils aient de quoi subsister, l’esclavage est pour eux une bonne solution !
De nombreuses idées contemporaines semblaient être absolument inconcevables il y a plusieurs dizaines d’années, pour devenir complètement acceptables par la loi et aux yeux de la société. Retraites, sécurité sociale, salaires, travail le dimanche ou système de vidéo surveillance généralisée, ne croyez-vous pas que leur évolution a suivi le scénario ci-dessus ? Croyez-vous vraiment que ces réformes sont pour le bien comment ou dans l’intérêt de quelques-uns ?
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