vendredi 21 novembre 2014

Rashid Khalidi: Pourquoi les 300 000 Arabes de Jérusalem se soulèvent-ils à nouveau ?

 Source : Agence Média Palestine





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Des jeunes Palestiniens jettent des pierres sur la police des frontières israélienne lors d’affrontements à un check-point entre le camp de réfugiés de Shuafat et Jérusalem, le 7 novembre 2014.
(Reuters/Finbarr O’Reilly)
Une fois encore, des troubles populaires généralisés ont éclaté à Jérusalem. Depuis juillet, des affrontements ont lieu entre des jeunes Arabes et les forces de sécurité israéliennes utilisant des grenades lacrymogènes, des balles d’acier enrobées de caoutchouc, des balles réelles et des matraques.
Pourquoi les habitants arabes de Jérusalem sont-ils descendus dans la rue ?
Beaucoup se sont sentis provoqués par les tentatives toujours plus nombreuses des fanatiques religieux juifs de s’emparer du troisième site le plus saint de l’Islam, l’Haram al-Sharif, pour les juifs, le Mont du Temple.
Les activistes religieux, représentés par des groupes de tutelle comme les organisations du Mont du Temple, ont souvent manifesté leur intention d’instaurer un culte juif sur le lieu saint musulman, de détruire ses magnifiques structures du VIIe siècle – la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher – et de les remplacer par un nouveau temple juif.
Le grand rabbin d’Israël a fustigé les juifs qui tentent de prier sur le site, suggérant que cela devrait être « passible de la peine de mort », car cela peut profaner le « saint des saints » – lieu où les juifs pensent que l’arche de l’alliance était gardée autrefois. Le ministre de la défense israélien, Moshe Ya’alon, a déclaré de son côté que les venues de ministres et de législateurs israéliens sur le site étaient « provocatrices » et qu’elles pouvaient avoir des « effets déstabilisants ».
Pourtant, les partis sionistes religieux extrémistes, comme le Habayit Hayehudi (Foyer juif), qui soutiennent le culte juif sur le site ne sont pas atypiques dans la société israélienne – ils sont même largement représentés au gouvernement, au parlement, dans les services de sécurité et dans l’armée d’Israël.
Beaucoup d’Arabes parlent aussi d’un précédent de mauvais augure. Depuis la guerre de 1967, Israël contrôle la mosquée Ibrahimi à Hébron, qui abrite le Tombeau des patriarches, site juif vénéré. C’est une mosquée depuis près de 14 siècles, avec une interruption durant les Croisades, mais le culte musulman ici a été progressivement restreint et certaines parties de la mosquée ont été accaparées pour un culte exclusivement juif. Cette prise de contrôle progressive n’a fait que s’accélérer après le massacre de dizaines de fidèles musulmans à l’intérieur de la mosquée par un colon israélo-américain durant le Ramadan en 1994.
Pour comprendre la récente vague de violence, il faut regarder au-delà du seul Haram al-Sharif, cependant.
Les tentatives de changer le statu quo de ce site religieux unique sont venues après des décennies d’occupation par Israël de Jérusalem-Est, occupation qui a commencé en 1967. En tant que non-juifs, les habitants arabes de Jérusalem sont soumis à des lois, règles, règlements et modes de répartition des fonds municipaux et nationaux ouvertement discriminatoires, notamment concernant les permis de construire, l’enseignement, les parcs publics, le ramassage des ordures et tout autre équipement urbain.
Ceci s’intègre dans une politique cohérente israélienne qui a pour but de restreindre la croissance de la population arabe de la ville, et de privilégier et développer sa composante juive.
Les habitants arabes autochtones de Jérusalem ont, pendant plus de quatre décennies et demie, été soumis à un barrage inexorable de tentatives pour les isoler dans des zones strictement limitées de la ville, certaines entourées de mur et clôturées. Alors que dans le même temps, l’expansion de la population juive au sein des colonies dans toute la Jérusalem-Est occupée – des colonies qui sont une violation du droit international – est subventionnée et soutenue sans compter par l’État israélien, et appuyée par des services de sécurité oppressifs.
Les Palestiniens à Jérusalem se considèrent eux-mêmes comme vivant sous occupation, tout comme les Nations-Unies d’ailleurs. Même les États-Unis ont voté en faveur de la résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies de 1969, laquelle résolution condamne les actions d’Israël dans la ville.
L’occupation est attestée par l’omniprésence de gardes-frontières paramilitaires puissamment armés dans les quartiers arabes, par les démolitions sélectives de structures appartenant à des Arabes accusés de violer le code de la construction, par l’utilisation de fouilles archéologiques à des motifs politiques afin de s’emparer des sites stratégiques, et par une myriade d’autres harcèlements et désagréments à un rythme quotidien.
Les Palestiniens de Jérusalem, qui constituent 38 % de la population totale de la ville, estiment que Jérusalem n’est pas gérée pour eux et par eux. Ils considèrent qu’elle est dirigée par l’État israélien et au profit exclusif de sa population juive, avec l’objectif d’établir une hégémonie juive absolue sur la ville.
Avant 1967, Jérusalem était divisée entre l’Ouest, sous contrôle israélien, et l’Est, sous contrôle jordanien. Après la guerre de 1967, Israël a annexé toute la ville et s’est maintenu en tant que force occupante à Jérusalem-Est. Depuis lors, ces politiques discriminatoires israéliennes ont systématiquement cherché à découper le cœur géographique et spirituel de la Palestine arabe.
Ces provocations ont créé les conditions d’une explosion majeure de troubles dans Jérusalem, et peut-être bien au-delà : dans le reste de la Palestine occupée et plus largement dans le monde arabe et islamique.
Les gouvernements des États-Unis et des pays européens portent une lourde responsabilité pour avoir abandonné les Jérusalémites à leur sort entre les mains des extrémistes de l’intérieur et de l’extérieur du gouvernement israélien – d’énormes sommes en dons caritatifs défiscalisés venant des États-Unis soutiennent les colonies dans Jérusalem-Est.
Des extrémistes nationalistes religieux au plus haut niveau du gouvernement israélien, comme le ministre de l’Économie Naftali Bennet, chef du parti Habayit Hayehudi, et le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, chef du parti Yisrael Beiteinu (Israël notre maison), y sont allés de leur propre voie pour manifester leur hostilité envers les Palestiniens, qu’ils soient citoyens d’Israël ou habitants de Jérusalem.
Bennet est allé jusqu’à dire qu’il devrait y avoir « tolérance zéro » à une identité nationale non juive, et qu’Israël devrait empêcher que Jérusalem ne devienne jamais la capitale d’un futur État palestinien.
Pour toutes ces raisons, les développements préoccupants dans et autour de l’Haram al-Sharif sont considérés par les Palestiniens, et par beaucoup dans le monde, comme une nouvelle tentative des fanatiques religieux de débarrasser cette ville antique de son histoire culturelle arabe et musulmane riche – qui fait aussi partie intégrante de son patrimoine mondial. Si aucune mesure n’est prise pour intervenir, alors les manifestants à Jérusalem-Est n’auront d’autre alternative que de défendre leur dignité, et leurs lieux saints, par eux-mêmes.
Source: Reuters
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine

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