mardi 4 juin 2013

Energie et climat : les dix questions à poser à Connie Hedegaard

Ce mardi 4 juin, Connie Hedegaard, commissaire européenne en charge du climat, sera auditionnée par les commissions du développement durable et des affaires européennes de l'Assemblée Nationale. Intervenant quelques jours après un Sommet européen de l'Energie marqué par l'influence des lobbies industriels et la marginalisation croissante de la lutte contre le changement climatique en Europe, cette audition pourrait être l'occasion de revenir sur les multiples reculades et impasses actuelles des politiques climatiques et énergétiques menées par l'Union européenne (UE). Tour d'horizon à travers les dix questions que nous aurions aimés poser lors de cette audition ouverte aux parlementaires et journalistes.
  1. Le récent sommet européen sur l'énergie a été salué comme « la fin de l'hystérie sur le climat » par Holger Krahmer, eurodéputé libéral allemand (ADLE), tandis que Yannick Jadot, eurodéputé vert français, a évoqué une « contre-révolution énergétique ». A la lecture de la déclaration finale, qui ne mentionne le climat qu'à une seule reprise, difficile de leur donner tort. L'UE n'est-elle pas en train de sacrifier toute politique climatique sur l'autel de la compétitivité et des exigences des lobbies industriels ?
  1. A l'issue de ce sommet, vous avez publié un communiqué se félicitant que la déclaration finale mentionne le livre vert « cadre 2030 pour les politiques climatiques et énergétiques », document qui préfigure les futurs objectifs climatiques que pourrait adopter l'UE. Alors que l'UE pourrait atteindre son objectif de réduction de 20 % fixé pour 2020 dès cette année, elle refuse tout objectif plus ambitieux – le GIEC préconisait 25 à 40 % – pour se tourner vers 2030, comme le préconise le lobby industriel Business Europe, avec un modeste objectif de 40 % de réduction d'émissions. L'UE n'est-elle pas en train de sous-estimer les objectifs à atteindre ?
  1. Un peu de mathématiques : en supposant que l'objectif de réduction d'émissions de 40 % soit atteint en 2030 comme vous le préconisez, il faudra encore diviser quasiment par trois les émissions de l'UE entre 2030 et 2050 pour obtenir une réduction de 80% en 2050 par rapport à 1990 comme le préconise le GIEC. Ce qui revient à fixer pour objectif une réduction des émissions de plus de 5 % par an de 2030 à 2050, alors qu'un effort continu dans le temps aurait permis de rester sur un objectif autour de 2,5. Pourquoi repousser ainsi à post-2030 l'essentiel des efforts de réduction d'émissions de gaz à effets de serre (GES) ?
  1. Prendre en compte les émissions incorporés1 dans les biens importés rend la réalité moins reluisante que ne le dit l'AEE. Ainsi, les émissions de GES pour les 27 pays de l’UE n’ont pas baissé de 17,5 % mais seulement de 4% entre 1990 et 2010. Puisque le climat est indifférent à l'origine géographique des émissions de GES, c'est bien le modèle de vie insoutenable des Européens qui est en cause. Pourquoi ne pas vous appuyer sur ces données pour mener des politiques qui soient véritablement à la hauteur des enjeux ?
  1. Le marché carbone européen est défaillant, inefficace et dangereux. Il n'y a aucune preuve qu'il contribue à la réduction des émissions de CO2 en Europe. Selon la grande majorité des analystes, vos propositions cosmétiques ne permettront en rien de le transformer en profondeur. Pourquoi insistez-vous donc avec des mesurettes qui font perdre du temps à lutte contre les dérèglements climatiques ? Pourquoi ne pas imaginer d'autres dispositifs et d'autres politiques climatiques en Europe, comme celle visant à décréter un moratoire général sur toute nouvelle exploration d'énergies fossiles sur la base des recommandations de l'AIE (Agence Internationale de l'Energie) de son rapport 2012 expliquant qu'il fallait laisser plus des trois cinquième des réserves actuelles d'énergies fossiles dans le sol  ?
  1. En France, des parlementaires sont de plus en plus critiques du marché carbone européen. Ainsi, lors d'un récent débat au Sénat, Evelyne Didier, sénatrice du groupe Communiste Républicain et Citoyen du groupe, a déclaré qu'il fallait « impérativement réfléchir à d'autres outils ». Laurence Rossignol, sénatrice et secrétaire nationale du Parti socialiste chargée de l'environnement, a affirmé de son côté que « la Commission avait donné un coup de grâce à ce marché, qui ressemble désormais à un couteau sans manche. Faut-il le sauver ou l'achever ? Je m'interroge ». Pourquoi ne pas s'appuyer sur de telles déclarations pour faire bouger les lignes plutôt que de tenter de sauver un dispositif aussi inutile que nuisible ?
  1. Malgré l'état lamentable du marché carbone européen, la Commission européenne continue à encourager d'autres pays pour qu'ils mettent en place des marchés carbone en prétendant que ce serait le meilleur outil (sic) pour réduire les émissions. Compte-tenu des échecs du marché carbone européen, pourquoi ne pas mettre fin au dispositif Partnership for Market Readiness (PMR), une initiative commune de l'UE et de la Banque mondiale qui fournit des fonds publics et une assistance technique à 16 pays pour mettre en place de tels marchés ?
  1. Vous venez de prendre publiquement position pour arrêter de financer les énergies fossiles. Or la BEI (Banque européenne d'investissement) et la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) n'ont toujours pas mis fin à de telles pratiques, la BERD envisageant même de financer l'exploitation des gaz de schiste en Europe. Alors que ces institutions sont en train de revoir leurs politiques de financement dans le secteur énergétique pour les cinq à six prochaines années, soutenez-vous l'exigence portée par des organisations de la société civile (Attac France, Amis de la Terre, Bankwatch, etc.) envers le gouvernement français, notamment le ministre de l'Economie et des finances, d'exiger le financement des énergies fossiles par ces banques multilatérales ?
  1. Le gouvernement français a fait acte que candidature pour que la France accueille la Conférence internationale de l'ONU sur le climat de 2015, qui revient selon le tourniquet instauré à un pays de « l'Europe de l'Ouest ». Jusqu'à présent, vous vous êtes montrée très discrète à ce sujet, comme si vous auriez préféré que cette rencontre n'ait pas lieu en Europe de peur de devoir assumer un nouvel échec international retentissant après Copenhague. Soutenez-vous cette candidature alors que les politiques climatiques de l'Union européenne sont aujourd'hui à des années-lumière du leadership que l'UE prétendait jouer en matière de climat ?
  1. Alors que des relevés indiquent que la concentration de CO2 dans l'atmosphère vient de dépasser les 400 ppm, c'est dans l'indifférence générale que s'ouvre ce lundi 3 juin un nouveau cycle de deux semaines de négociations à Bonn (Allemagne). Aussi étrange que cela puisse paraître, les objectifs de réduction d'émissions tangibles et effectives de GES ne se trouvent pas au cœur des négociations. Après Durban, nous craignions que l'UE ait « signé la défaite du climat ». Plus d'un an et demi plus tard, nos craintes sont malheureusement vérifiées : protocole de Kyoto vidé de sa substance, pas de nouvel accord décidé avant 2015 et mis en œuvre avant 2020, accord non contraignant, Fonds Vert pour le Climat aux abonnés absents, etc. Au moment où les rapports scientifiques convergent pour dire l’urgence des changements à mettre en œuvre, pourquoi l'UE et ses Etats-membres s'enferrent-ils dans une stratégie qui est celle d'un grand renoncement ?
L'audition de Connie Hedegaard sera diffusée en direct (4 juin – 8h15) sur le site de l'Assemblée nationale.
Maxime Combes, membre d'Attac France et de l'Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
Twitter : @MaximCombes

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