mardi 12 mars 2013

SUR "L'IMPERIALISME URBAIN"

Après avoir été pendant des siècles une exception dans les sociétés, la ville a fini par « dominer le monde ». Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale est urbaine et le phénomène s’amplifie. Cette situation ne va pas sans créer des situations conflictuelles entre, sinon « deux mondes », du moins deux milieux qui demeurent très différents. Pour plagier d’une certaine manière Alphonse ALLAIS, le drame des campagnes c’est que l’on y a construit des villes,… et que ces nouvelles venues ont pris une importance qui a dépassé le milieu qui les recevait. Tant que les villes sont demeurées, disons, d’une dimension raisonnable, c'est-à-dire tant que le foncier de la ville, notamment, a pu se développer à partir d’elle, qu’il n’a pas atteint des niveaux de prix insupportables et que les conditions de travail, de transport le permettaient, les conflits ont été limités. Aujourd’hui, le développement des transports, le prix du mètre carré citadin, mais aussi le besoin de « référents naturels » dans le mode de vie, a poussé une partie de la population à « émigrer » vers la campagne, non pas seulement avec une résidence secondaire, mais pour y implanter la résidence principale. Cette transplantation a eu de curieux effets qui sont à l’origine de conflits entre les paysans et les nouveaux arrivants. On aurait pu imaginer que ce retour à la campagne se serait fait justement pour les qualités et les spécificités que celle-ci recèle. Or pas du tout, les transplantés entendent imposer leur manière de vivre et refusent ce qui fait que la campagne « est la campagne ». Ainsi, le chant du coq, les odeurs de volailles, de vaches, la proximité et le passage d’animaux, les odeurs de foin, de purin, le son des cloches des vaches, les heures sonnées au clocher,… bref, tout ce qui constitue la campagne est insupportable aux nouveaux venus. Le comportement de ces nouveaux colons est tout à fait à l’image de ce qu’était les envahisseurs de la grande époque coloniale : ils n’acceptent l’autre, qu’à leur image…. Eux, bien évidemment détenant la vérité, comme d’autres apportaient la civilisation et le « vrai Dieu ». Ceints d’une mauvaise foi qui n’a d’égal que le mépris souverain qu’ils portent aux « gens de la terre », ils exigent, tranchent, tempêtent et, ultime manœuvre, engagent de longues et ruineuses procédures contre celles et ceux qu’ils empêchent de vivre. La loi, éternelle protectrice des pauvres et des humbles, servie par des magistrats parfaitement compréhensifs des choses de la campagne…fait que les paysans sont tracassés pendant des mois et quasi systématiquement condamnés à arrêter leur exploitation pour laisser la place à leurs envahisseurs. Cet impérialisme urbain est parfaitement en phase avec l’industrialisation de l’agriculture. Les normes industrielles exigent des établissements « propres »,… du moins en apparence,…« non polluants »…du moins en apparence. La pollution n’est pas visible, elle agit au niveau des nappes phréatiques, des cours d’eau, de la prolifération des algues vertes… Mais elle laisse intact le paysage de même que les yeux, les oreilles et les narines des citadins qui s’exilent à la campagne. On ne laisse pas traîner la poussière,… on la glisse sous le tapis. Cette pollution industrielle est prise très au sérieux par les autorités qui nous expliquent doctement que « c’est la rançon du progrès », c’est « Bruxelles qui le décide ainsi » et que ce sont les conditions de production qui « nous sont imposées par la mondialisation ». Ben voyons !... Mais attention !... Qu’un petit paysan, dans son installation individuelle, dans sa salle de gavage ou d’abattage ait un robinet d’eau mal placé, ou une table mal disposée par rapport à l’ensemble de son installation,… c’est l’administration qui lui tombe dessus à grand renfort de textes officiels. On assiste aujourd’hui à un véritable harcèlement du monde paysan au nom d’une soit disante modernité incarnée par l’industrialisation de l’agriculture et les exigences exorbitantes et stupides des « nouveaux habitants de la campagne » qui n’ont rien à voir avec le travail de la terre. Bref, le paysan devient à la campagne un gêneur qui empêche les gens de la ville de pouvoir vivre normalement, autrement dit « comme à la ville » ( ?). Cette situation, souvent tournée en dérision comme de simples « conflits de voisinage » révèle cependant une chose beaucoup plus grave : l’intolérance des urbains à l’égard des ruraux. Pour les urbains, les ruraux sont sales et bruyants, comme les « sauvages » étaient indécents pour les colons. Imaginons un instant les mêmes exigences de la part d’un paysan venant résider en ville : suppression des voitures, de la pollution, des bruits de la rue, de l’impossibilité de se garer où on le souhaite… Défendre la vie à la campagne, ce n’est pas se couper du progrès, mais reconnaître une certaine authenticité et qualité de vie. On va en effet, généralement, se « ressourcer » à la campagne,… on se ressource rarement à la ville. Celles et ceux qui ont fait le choix de vivre et travailler à la campagne ont autant le droit d’être respectés que celles et ceux qui ont fait un autre choix. Mars 2013 Patrick MIGNARD

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